lundi 15 août 2022

Lettre amère



 Quatorze semaines, quatre-vingt dix-huit jours, deux mille trois cent cinquante deux heures, cent quarante et un mille cent vingt minutes, huit millions quatre cent soixante mille deux cents secondes...

Trois mois et une semaine précisément ont filé depuis que maman a appuyé sur le bouton alertant la télésurveillance. 

Il aurait pourtant suffi qu’elle sache repérer les signes avant-coureurs de l’infarctus cérébral qui l’a clouée au lit et condamnée à une quasi-immobilité. L’ennui c’est que visiblement, le sujet ne figure pas au programme des chaînes de télévision. Sinon, elle les aurait certainement reconnus. Et elle n’a pu être prise en charge dans les six heures suivant le premier AVC et les dégâts neurologiques n’ont pu être évités. Si elle a toujours toute sa tête, l’équipe pluridisciplinaire qui s’occupe de la rééduquer depuis bientôt huit semaines s’emploie à restaurer son « côté droit » paralysé par l’accident.

Si l’équipe médicale du CHU de Gonesse où elle fut admise début mai évoquait l’hospitalisation à domicile à peine deux jours après son arrivée, celle de la clinique de rééducation en revanche a exclu d’emblée cette éventualité.


Moi qui, au début du joli mois de mai, me réjouissais à l’idée d’être plus proche physiquement de mes proches, me voici bien marrie !

Ma sœur jumelle est en fait la seule dont je me sois réellement rapprochée. Mon fils joue au sous-marin, ma demi-sœur quant à elle a définitivement rompu toute communication et, cerise sur le gâteau, ma mère a pris la décision de rester dans le Tarn et Garonne plutôt que d’accepter ma proposition de vivre à ses côtés et lui permettre de revenir à son appartement qu’elle a occupé durant quasiment la moitié de sa vie.

Les soignants de la clinique, estimant que je représente une source de perturbation pour maman, ne nous auront pas permis à ma jumelle et moi de prendre part à la réunion au cours de laquelle la décision a été prise... sans doute suis-je trop franche, trop directe et n’ai-je pas pour habitude de faire preuve d’hypocrisie ou de me fourrer la tête dans le sable...


Quatre-vingt dix-huit jours à courir, à plonger la tête la première dans son univers, à trier ses papiers, ses vêtements, ses chaussures et toutes ses affaires, à ranger son logement, à déplacer ses meubles, à me démener dans l’hypothèse de son retour, à imaginer sa vie, la nôtre, dans un appartement au troisième et dernier étage d’un petit immeuble dépourvu d’ascenseur, à imaginer des retrouvailles qui ne viendront donc pas.

Que de virages négociés au plus près de la corde, de dérapages plus ou moins contrôlés, de coups de freins secs et d’accélérations décoiffantes !

Tout ça pour ça ?


Ce n’est jamais que mon quatrième rendez-vous raté avec ma mère. Je crains cependant que ce ne soit en réalité le dernier.