vendredi 3 juin 2022

Du curcuma longa en fleur... au programme L.E.A.D.E.R.


 

Puisque la tendance est au ménage et aux changements tous azimuts, je dépoussière une des premières publications de ce blog, cataloguée  à la rubrique « spicilège », pour remettre sur le tapis la question du circumstellaire  CURCUMA*.

http://sous-les-lambrequins.blogspot.com/2011/09/le-curcuma.html


Dans cette vie antérieure, j’exerçais la profession de confiseuse ambulante consistant dans la fabrication artisanale de confitures, de confiseries et de condiments que je préparais à mon domicile avec l’accord des services d’hygiène et que je présentais à la vente sur certains marchés de la région parisienne et à l’occasion de foires, de marchés de Noël ou de salons gourmands. Parallèlement à mon activité, je publiais ici-même mes recettes fétiches et je partageais des informations et des anecdotes relatives aux ingrédients que j’employais, à l’image du curcuma anciennement dit « safran » ou « safran péi » à La Réunion. 

Mais ça c’était avant, il y a longtemps... Presque neuf ans. J’ai mis la clé sous la porte lorsque mon dos m’a lâchée pour quantité de raisons au nombre desquelles l’obligation d’ajouter sur l’étiquette de mes produits la fameuse « analyse nutritionnelle » et la référence au codex alimentarius qu’il était question d’appliquer, au motif de la sécurité des consommateurs et de la traçabilité des denrées. En temps qu’artisane, je trouvais profondément injuste qu’il me faille investir des sommes folles pour faire analyser des produits que je fabriquais en quantités minuscules et, dans le même temps, que je sois contrainte de divulguer des recettes que j’avais patiemment élaborées au premier laboratoire venu. Quant au fameux Codex, l’appliquer dans le cadre de mon activité équivalait à m’interdire toute créativité en adoptant des formules standardisées issues de l’industrie ou bien a contrario, passer outre et m’exposer à des procédures longues et coûteuses de demandes d’autorisation de mise sur le marché de « nouveaux produits destinés à l’alimentation humaine »... Ainsi donc, voici comment sont traités les petits tandis que les gros peuvent se targuer de la préservation du « secret des affaires » et commercialiser des milliers de tonnes de choses aux ingrédients secrets et parfois cachés, que je répugne de plus en plus à consommer. Vous avez dit deux poids, deux mesures ?


Mais revenons si vous le voulez bien au curcuma et à La Réunion.

Jusqu’en 2019, la poudre dorée y était célébrée tous les ans au cours de la deuxième semaine de novembre. Mais depuis la krizsanitèr, comme une foultitude de manifestations, le « Safran en fête », qui se déroulait à la Plaine des Grègues, n’a plus ouvert ses portes d’après ce que j’ai pu lire sur Internet. J’en déduis que les producteurs-transformateurs de curcuma ont vraisemblablement beaucoup perdu puisque ces exploitants, tous indépendants,  écoulaient à cette occasion une grande partie de leur production.

Et voici que les deux neurones de ma modeste cervelle relient cette information à ceci

 http://sous-les-lambrequins.blogspot.com/2022/03/

J’en conclue que mon instinct ne m’a, une fois encore, pas trompée en me dictant de renoncer à mettre tous ces petits producteurs dans la mouise et à la merci des banques, sous couvert de « développement local » et de « valorisation du t.e.r.r.i.t.o.i.r.e » en déclinant en décembre 2017 l’offre d’un CDI bien rétribué mais dont la fiche de poste, rédigée en novlangue, m’avait magnifiquement leurrée un an auparavant.

Durant cette année passée à me familiariser avec les procédures et les technocrates liés à la mise en œuvre du programme, j’ai rencontré des « porteurs de projets » désireux de faire, qui du fromage de vache, de chèvre ou de brebis, qui du vin, qui du jus, des confitures, des confiseries ou des condiments à base de canne à sucre, de letchis, d’ananas Victoria, de goyaviers ou d’autres fruits, légumes ou racines des Tropiques, qui du foie gras ou des conserves d’escargots, qui des pâtisseries traditionnelles, qui de la vanille givrée ou bien encore de s’équiper pour mettre son thé blanc en sachet...

Il m’a fallu réaliser qu’aucune formation n’était dispensée dans l’île pour permettre aux actifs du monde agricole de transformer les produits de leur récolte ou de leur élevage. En revanche, il leur était possible d’apprendre localement à préparer de la crème de marron ou bien encore de la confiture de lait. Il faut croire que la mondialisation heureuse aidant, de tels produits sont maintenant typiques des traditions réunionnaises et qu’il suffit de se baisser dans les champs de canne à sucre pour ramasser quantité de châtaignes ! De même que les éleveurs laitiers, tenus par la main de fer de la coopérative, ont toute latitude pour transformer le plus petit hectolitre du lait de leurs vaches, pour beaucoup affectées par la leucose bovine grâce aux bons soins de la même coopérative qui a pourvu au renouvellement du cheptel en important dans les années 2010, d’Allemagne et de l’Est de la Fronce, quelques bêtes déjà souffreteuses mais qui eurent l’heur d’échapper à toute quarantaine et à tout contrôle sanitaire à leur arrivée sur l’île...

Aigrie moi ? Meuh non voyons. Juste un peu outrée par les pratiques de certains margoulins !

Et ça n’est pas sans raison que je me sois heurtée au monde très fermé de la coopération agricole et que j’ai rendu mon tablier la mort dans l’âme, face au système agricole réunionnais, si parfaitement intégré et tellement dépendant d’acteurs très peu nombreux et d’autant plus puissants. En bref, ce CDD d’un an m’a permis de prendre la mesure de la réalité du terrain, de la déconnexion patente entre administration et administrés, et, pour tout dire, du piège que constituait en fait les millions d’euros annoncés au titre des subventionzeuropéennes.

Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et j’ai fini par comprendre que ce travail avait pour finalité de déposséder les petits, les indépendants, les non affiliés et de renforcer le pouvoir des coopératives et la puissance des entités qui dictent leurs règles du jeu - et elles sont impitoyables et sans partage. Mon rôle n’était pas de contribuer au développement des activités artisanales mais de vendre des prêts bancaires sous couvert de subventions européennes en amenant les candidats à se soumettre aux normes, à s’affilier à des coopératives, à s’endetter auprès des organismes financiers en attendant que la manne franchisse mers et océans, sans oublier d’arborer fièrement le logo de l’U.E pour la promotion d’un programme qui ne dit pas son nom.

La filière curcuma qui n’était pas du tout structurée sur le modèle pyramidal faisait l’objet d’une attention particulière de la part des autorités mais surtout de laboratoires pharmaceutiques camouflés derrière des chasseurs de primes affichant leur volonté de s’accaparer l’entièreté de la production aux fins de procéder eux-mêmes à sa transformation, privant ainsi les agriculteurs de la part la plus gratifiante de leur activité et des revenus correspondants.


Quant à mes anciens collègues, j’espère qu’ils n’ont pas perdu leur âme et conscience et qu’ils sont capables de dormir sur leurs deux oreilles. 


À suivre : le prochain (dé)ménage(ment)  prévu pour le début de l’été


*Le curcuma semble avoir déjà disparu du vocabulaire du correcteur...